Dieter Telemans, apiculteur-céramiste-photographe passionné à 300 % !

Agnès Fayet

Entretien avec Dieter Telemans, l’un des responsables du Jardin d’abeilles de Bruxelles M’abeilles à Jette.

Dieter Telemans est un apiculteur, céramiste et photographe bruxellois. Il se pose une limite maximum de 30 ruches de production réparties sur 3 ruchers dont 2 en Flandre, dans des conditions non-urbaines. Il est un des responsables du Jardin d’abeilles de Bruxelles M’abeilles à Jette.

Le COVID a suscité chez lui un réel changement qui a modifié la part tenue par ses trois passions, toutes trois économiques mais à des degrés différents.

AF - J’ai remarqué que ton travail de céramiste s’inspire parfois de l’univers de la ruche. Tes différentes activités semblent très « poreuses ». Je me trompe ?
DT - Oui, c’est vrai. Je fais des pots à miel. J’étudie en ce moment la faisabilité d’un abreuvoir à abeilles en forme de ruche, avec une cuisson à basse température (900°) pour permettre une percolation de l’eau à travers la terre. Il y a seulement une couche d’émail transparente à la base et dans la rigole destinée à retenir l’eau. Cet objet est encore en phase de recherche : j’essaie les épaisseurs, l’émail, la forme.
Le principe, ce sera une petite ruche en terre avec une ouverture pour le remplissage du réservoir qui fonctionnera sur le principe des oyas (NDLR : poteries utilisées depuis des millénaires pour l’irrigation des jardins). J’ai aussi réalisé des travaux avec l’empreinte d’une reine (des plats, des carreaux en céramique...).

AF - Et tu as à cœur de transmettre, tes idées et tes passions...

DT - Je commence à donner des initiations au tour. Ce sont de cours privés pour 2 personnes pendant 3 ou 4 heures qui permet d’avancer plus rapidement.
Le tour, c’est le plus compliqué. En cette période un peu spéciale, je remarque que les gens ont besoin de laisser parler leur créativité. Ils ont besoin d’un retour à la nature, à la matière. Moi-même, c’est ce qui me motive, ce qui a motivé mon engagement en apiculture par exemple.
J’habitais en ville et j’avais besoin d’un contact avec le vivant.

AF - Tu t’es formé en apiculture à Bruxelles, à la SRABE ?
DT - J’ai d’abord suivi une année de formation à Leuven. Puis j’ai suivi celle de la SRABE qui est d’excellente qualité.

AF - Depuis combien de temps es-tu céramiste ?
DT - Le COVID a provoqué un changement de vie. L’académie de céramique était fermée. Tous mes reportages photos ont été annulés. Je fais surtout des portraits et je pense que les gens ne voulaient pas faire venir un photographe à cette période là. De ce fait toutes mes commandes ont été annulées. J’ai eu la chance d’avoir le réflexe d’investir dans le matériel de céramique, tours et four.

Pendant les mois de confinement, j’ai tourné, tourné, tourné. Je me suis perfectionné par la pratique en très peu de temps. Je me suis appuyé aussi sur de très bons tutos que l’on trouve sur Internet.

AF - Aujourd’hui tu ne fais plus de photos ?
DT - Un petit peu mais beaucoup moins. La céramique c’est 70 % de mon temps maintenant. Je me lance dedans.

AF - Et l’apiculture ?
DT - 15 % et 15 % pour la photo.

AF - Quel est ton parcours et ta philosophie en apiculture ?
DT - Bien que j’ai suivi les cours de la SRABE à Bruxelles, je pratique une apiculture très différente de ce qu’on m’a enseigné. J’ai la chance d’avoir des ruchers en dehors de Bruxelles. La plupart de mes ruches sont en Flandre. J’ai un rucher à Strombeek et un autre à Dilbeek . Là il n’y a pas de souci s’il y a un essaimage.
En ville, c’est une autre histoire. J’ai un autre rucher à Brugmann, là j’y vais régulièrement pour être certain qu’elles ne sont pas en fièvre d’essaimage, pour faire un suivi plus strict. En dehors de ce rucher particulier, je visite très très peu.

Le moins possible. A chaque fois, on perturbe les abeilles et les abeilles savent toujours mieux que nous. On a tendance à tellement intervenir, à faire tellement de choses dans la ruche ! Et souvent, j’ai un doute. Fallait-il faire ça ? Ne fallait-il pas laisser faire ? Cette année ci, j’ai eu pas mal d’essaimage donc moins de miel mais ce n’est pas grave. Je ne suis pas à 100% dépendant de l’apiculture. C’est pour cette raison que je ne veux pas vivre que de l’apiculture parce que je pratiquerai une autre apiculture. Là ça me rapporte un petit peu. Juste ce qu’il me faut. Et je remets 1/3 de ma récolte aux abeilles. Si c’était pur profit, je ne ferais pas ça. Quand je récolte, je mesure l’humidité des cadres de rive et d’un cadre central. Quasiment tous les cadres qui ne sont pas complètement operculés, je les mets de côté. A la fin de ma récolte j’en fais une seconde avec les cadres mis de côté, pour les abeilles. Souvent cela ne suffit pas, bien sûr et je dois rajouter du sirop. Je travaille un peu sur le rythme des cadres à mâle. Entre 2 et 3 semaines je revisite pour couper les cadres à mâles. C’est le temps maximum que je prends entre chaque visite. J’utilise le cadre témoin dans certaines ruches ou alors je place un 1⁄2 cadre vide. J’écrème aussi mes colonies et je leur redonne du travail en coupant les cadres à mâles.

AF - Pour toi, l’idéal est que l’apiculture n’ait pas un objectif commercial mais qu’elle te permette de rentrer dans tes frais. C’est correct ?

DT - Je fais plus que rentrer dans mes frais... Ça me fait un petit apport.

AF - Comment organises-tu ton réseau de distribution ? Comment vends-tu tes produits ?
DT - Pour l’apiculture, c’est le circuit court. Je travaille pour quelques GASAP et dans 5 magasins. Je vends aussi dans une boulangerie à 300 mètres d’ici. Dans 2 des magasins, je vends également ma céramique. Les réseaux de vente peuvent se combiner. La photo, ça fait 25 ans que j’en fais. J’ai donc un réseau de rédacteurs photos qui fait appel à moi. Et la céramique, franchement, c’est quand même essentiellement via internet jusqu’ici.
Mais il faudrait que j’organise une vente, un atelier ouvert. En céramique, mon réseau n’est pas encore construit. Je devrais l’élargir mais je ne me sens pas une vocation commerciale.

AF - Est-ce que tu produis autre chose que du miel ?
DT - Le pollen, certainement pas. Du fait de l’environnement urbain et des particules fines, ce n’est pas idéal. Nathalie (NDLR : Nathalie da Costa, la compagne de Dieter, est également apicultrice) fait de l’encaustique. On fait ensemble des bougies et des savons mais pour notre consommation personnelle. Je suis en cycle fermé pour la cire donc je n’ai pas beaucoup de surplus. Juste assez pour faire des bougies. Ce qui me retient un peu c’est la législation, différente pour les produits transformés.

AF - Des apiculteurs bruxellois pourraient-ils, selon toi, trouver un intérêt à s’intéresser à d’autres produits de la ruche ?
DT - C’est difficile à dire. Je suis une exception avec mes 30 ruches. La moyenne à Bruxelles est de 2 ou 3 ruches par apiculteur. Nous sommes des amateurs et l’apiculture est pratiquée à Bruxelles essentiellement par amour de l’abeille et le contact avec la nature. Certains font des baumes à lèvre, un déodorant. On peut faire ça avec 2 ruches. C’est surtout pour fabriquer des produits sains pour une consommation personnelle.

AF - Pour te faire connaitre, tu utilises beaucoup les réseaux sociaux, Instagram... Est-ce que tu vois vraiment un avantage à ça ?
DT - Absolument. Sans ça je n’ai pas de futur. Je pense que c’est très, très important. Moi j’ai commencé tout ça avec la céramique. Cela construit un réseau.
Maintenant je remarque qu’il y a des ventes consécutives à mes publications. Un peu plus de 900 abonnés sur Instagram, quelques milliers sur Facebook.

AF - Je remarque aussi que tu cumules tes 3 activités sur ton compte Instagram, mais aussi sur ton site internet qui est finalement ta carte de visite numérique la plus aboutie...
DT - Le point commun, et ce qui me caractérise un peu, quand même, c’est la nature. J’ai grandi en Afrique dans un environnement formidable. J’ai toujours aimé la nature et, même si je vis en ville aujourd’hui, j’ai toujours souhaité vivre en pleine nature. Mon travail de photographe est très lié à la nature. J’ai publié un livre en 2007, « Troubled waters », qui aborde la problématique de l’eau et de l’accès à l’eau. C’est le travail dont je suis le plus fier. Il parle de changement climatique, d’inondations, de sécheresses dans la corne de l’Afrique. Ça a commencé avec un voyage que je voulais faire depuis longtemps et que j’ai réalisé dans le cadre d’une mission avec Médecin sans frontière. Ils m’ont envoyé au bord de la Mer d’Aral en Ouzbékistan et au Karakalpakistan, un état semi-autonome d’Ouzbékistan. C’est une expérience qui m’a touché et transformé. Ça a été le début des reportages sur la question de l’eau, l’importance de l’eau, les inondations, la mauvaise gestion de l’eau, les potentielles guerres de l’eau, etc.
J’ai toujours eu un lien fort avec la nature. Je le retrouve aujourd’hui avec la terre et avec l’apiculture, bien sûr. C’est un peu le fil conducteur de ma vie et de mes 3 activités. Rassembler mes 3 activités dans ma communication me semble cohérent du fait de cela. La nature est le leitmotiv qui relie tout.

AF - Leitmotiv ou point de conjonction...
DT - En tant que photographe, je fais désormais presque uniquement des portraits. Je souhaiterais me diriger davantage vers la photo nature, vers des reportages photos en milieu naturel. J’ai signé l’exposition « To bee or not to bee » avec Good Planet Belgique. De nouveau, c’est l’apiculture qui m’a conduit là. L’exposition a bien voyagé mais moins que « Troubled waters » qui a circulé sans cesse pendant 5 ans. Mais il existe des petits tirages pour des expositions destinées au public scolaire. Tout ce matériel sert toujours. Les expositions que j’ai réalisées ont toujours été assez didactiques avec l’idée d’apporter et d’informer. Je ferai peut-être un jour un livre sur les abeilles...

AF - Donc, ta démarche, c’est informer avant tout...
DT - En tant que photographe, je ne me considère pas comme un artiste. C’est mon métier. Tandis qu’avec la céramique, tout doucement, je touche à l’expression artistique. J’ai commencé avec des objets fonctionnels mais je préfère produire des objets uniques.

AF - Tu sembles très inspiré par la nature jusque dans tes objets en céramique, fonctionnels ou pas.
DT - J’aime l’idée que mes céramiques soient installées dans la nature. Je fais des mangeoires, des bains et des nids pour oiseaux. J’essaie des formes originales.
J’aime l’idée que des oiseaux vont naître dans ma céramique. L’idée que c’est utile aux animaux me plaît beaucoup. Les nids, l’abreuvoir à abeilles...

AF - Je remarque aussi des formes assez organiques.
DT - Les formes de la nature sont très belles et très inspirantes. J’ai réalisé de petits jardins miniatures en pensant à la forme des nids à bourdons.

AF - Je reviens sur ta remarque concernant ta position par rapport au métier de photographe. Tu ne te considères pas comme un artiste photographe mais d’autres peuvent juger tes photos comme de belles représentations.
DT - Oui... J’ai réfléchi au sein d’un collectif de photographes sur la question « faut-il ou pas accompagner les photos de textes » ? Et bien je pense que oui. Il faut expliquer la démarche du photographe, pourquoi il a voulu montrer ça. Je trouve que c’est intéressant, que ça ajoute quelque chose à l’exposition. D’autres photographes pensent au contraire que c’est aux visiteurs de ressentir et d’interpréter. J’ai organisé une grande exposition sur le Sida en Afrique puis une autre sur la musique et les danses populaires en Afrique pour montrer des images positives et des talents.

J’ai doublé le message visuel de textes. Je pense que ça le renforce. C’était aussi le cas pour l’exposition « To bee or not to bee ». C’était vraiment une exposition pour informer le public, pour encourager à faire des jardins accueillants pour les pollinisateurs.

AF - C’est un message que l’on retrouve jusque sur l’étiquette de tes pots de miel ! J’ai l’impression que tu soignes vraiment le travail de l’image autour de tes produits, miel ou céramique.
DT - C’est Nathalie, ma compagne qui est graphiste, qui a réalisé mon étiquette et mon logo. Le logo représente une abeille mais aussi un oya, ou des petits pots.
Nous essayons de donner envie et cela n’interdit pas de passer un petit message positif en faveur de la nature.

Références :
https://www.instagram.com/dietertelemans
https://www.dietertelemans.com/
dieter chez dietertelemans.com
+32(0)475 50 14 65
https://www.goodplanet.be/fr/to-bee-or-not-to-bee/